Petite note de lecture en passant. Rabelais évoque à propos des couleurs de Gargantua, la distinction entre jus gentium et droit naturel (jus naturae) dans Gargantua aux éditions de la Pléiade (pp. 30-31):
Et n’est cette signifiance par imposition humaine institué, mais receue par consentement de tout le monde, que les philosophes nomment ius gentium, droict universel valable par toutes contrées.
Comme assez sçavez, que tous les peuples, toutes les nations (je excepte les antiques Syracusans et quelques Argives : qui avoient l’ame de travers) toutes les langues voulens exteriorement demonstrer leur tristesse portent habit de noir : et tout dueil est faict par noir. Lequel consentement universel n’est faict que nature n’en donne quelque argument et raison : laquelle un chascun peut soubdain par soy comprendre sans aultrement estre instruict de personne, laquelle nous appellons droict naturel.
Il y aurait donc deux droits universels, l’un par convention humaine appelé le droit des gens ou jus gentium, et l’autre le droit naturel ou jus naturae qui ne fait l’objet d’aucune convention humaine tant son empire est immédiatement évident dans son universalité.
Paradoxalement, si le droit naturel semble moralement le plus fort, il est politiquement le plus faible. C’est aussi tout le sens des culottes blanches et bleues de Gargantua. Il a été décidé par agence humaine de la symbolique des couleurs. Cependant il est possible d’arguer de sa valeur universelle naturelle.
Pour hasarder une comparaison pour les moins osées, le “droit d’ingérence” opère du même principe que le choix des couleurs de Gargantua, et c’est tant mieux. On argue de l’universalité naturelle des droits de l’homme pour en justifier un début de convention humaine (en droit international, on pourrait dire que la création d’une coutume fera objet de droit positif).
Pourtant c’est là aussi toute la fragilité, car qui décide d’une loi naturelle ? On pourra toujours argumenter contre elle. Il y aura toujours un groupement humain qui n’aura pas telle coutume, pour qui le noir ne symbolisera pas la tristesse et le deuil, mais le rose ou le vert. C’est là tout le problème d’une loi morale universelle, qui paradoxalement, n’est qu’une illusion puisqu’elle est issue d’une réflexion humaine.
Cette recherche de loi naturelle, de morale naturelle, est très engagée durant les Lumières, dans le courant Angliciste, et les métaphysiciens germaniques surtout (Wolff, Pufendorf, et même le Danois Holberg). Ce sera l’occasion d’établir des systèmes moraux et politiques dont le souverain unique est Dieu, et la loi celle de Dieu. Projets pour le moins difficiles à réaliser sur une terre d’hommes. C’est pourquoi d’autres versions physiques et non métaphysiques remplaceront Dieu par la Nature. Les lois de Dieu deviennent les loi naturelles au sens où comme il y a des lois de la nature qui dictent à une pomme de tomber sur la tête de Newton lorsqu’elle est mûre, il y aurait des lois morales qui font que les hommes se comportent comme ils le font. Notamment Holbach développent les “sciences politiques et morales”, qui feront l’objet de la création d’une nouvelle académie après la Révolution ; académie qui subsiste toujours aujourd’hui sous la même appellation.
Cependant le problème n’est toujours pas régler du souverain. Sous la révolution, on ne pense pas au relativisme culturel. Les lois sont universelles. La liberté est universelle. La politique de la liberté est donc universelle. Cloots proclame l’humanité seul souverain. La nation est souveraine, mais il s’agit de la nation du genre humain.
Le problème qui se soulève alors est celui des particularismes politiques selon les cultures.
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